Après deux mois de conflits, confusions et trahisons, surtout au sein du centre-gauche, le parlement italien de la XVIe législature a pu élire un nouveau gouvernement. La confusion qui régnait dans le parlement italien est partialement due au poids, au rôle mais aussi à l’obstination du mouvement populiste moderne « 5 étoiles » dirigé par l’ancien comique Beppe Grillo et surtout aussi au système électoral qui a empêché la formation d’un nouvel exécutif. Les tentatives de Pierluigi Bersani de convaincre ce mouvement ont échoué et le secrétaire du parti démocrate est sorti vaincu voire humilié, selon son antagoniste lors des primaires de gauche, Matteo Renzi. La démission de Bersani et sa renonciation à la candidature à la tête du gouvernement ont suffit à faire converger et collaborer les deux forces politiques principales (PD et PDL). Pour la première fois en Italie, on trouve une Grosse Koalition , formée par les partis antagonistes de ces deux dernières décennies et par les centristes de Mario Monti.
Or, cette nouveauté absolue est à la fois intéressante et surprenante car la dialectique politique italienne du XXème siècle et du XXIème a été caractérisée par une présence constante voire radicale de l’extrémisme politique. Cet extrémisme politique, hérité de la deuxième partie du ‘900 a toujours été présent au sein des gouvernements de droite et de gauche des années 1990 et 2000 et a souvent été la cause de leurs propres renversements. Pour avoir une idée plus claire : Gianfranco Fini, Ignazio Larussa (ancien militants du parti fasciste MSI), Walter Veltroni ou Massimo D’Alema (ancien membre du parti communiste) ont eu des postes importants dans les gouvernements italiens récents.
Le retour de Giorgio Napolitano comme chef d’état, un acteur clé, malgré tout
Lors des résultats des élections du 25 février, tous les acteurs politiques italiens ont compris que le chef d’État pouvait être le seul à gérer la confusion politique qui caractérisera l’Italie pour environ 2 mois. A’ l’âge de 88 ans, sa décision raisonnable de se retirer fait l’objet d’unanimité mais les partis politiques n’ont pas prêté la juste attention à la volonté de Napolitano de quitter la présidence. Plusieurs politologues ont comparé le système italien à la IVème République et l’élection du président de la République au Parlement est un exemple très clair. Malgré un rôle symbolique comme garant de la Constitution et du pays, le chef d’État en Italie n’a jamais été élu au premier tour par le parlement mais souvent après des scrutins infinis, des accords cachés entre les députés et les partis. Le cas le plus remarquable a été celui de Giovanni Leone[1] en 1971, élu président après 23 scrutins.
Suite aux épisodes qui entrainèrent la sortie de la scène principale du secrétaire démocrate Bersani (cf. prochain paragraphe), le 20 Avril dernier, Giorgio Napolitano est proposé par le PD comme candidat à la présidence, il est appuyé par le Peuple De Liberté, La Ligue Nord, et le mouvement de Monti. Cependant, le mouvement 5 étoiles insiste sur son candidat, le constitutionnaliste Stefano Rodotà, qui est aussi voté par le parti d’extrême-gauche SEL, gêné par l’attitude de ce tout nouveau compromis entre gauche et droite. Giorgio Napolitano est le seul chef d’État à bisser son mandat dans l’histoire de la République Italienne.
Bien que la deuxième élection de Napolitano soit particulière en soi, la scène politique italienne connait une situation assez kafkaïenne. Il s’agit des applaudissements et des cris de joie lors du discours de Napolitano juste après son élection. Un discours imprégné de réprimandes et d’invectives vis-à-vis des forces politiques parlementaires, considérées par le chef d’État comme les seules responsables de la gravité de la situation politique et économique de l’Italie.
Le triste épilogue de Bersani ou de la gauche italienne.
Ce qui s’est passé après les élections de février et l’impasse de 60 jours dans la politique italienne a bien souvent fait la une des médias italiens et occidentaux en général. Notre but n’est donc pas de faire une chronologie de ces évènements mais d’expliquer comment le PD s’est retrouvé sans leader et dans l’incapacité de construire un gouvernement, et pour quelle raison il a refusé avec détermination de nouvelles élections, sachant que la majorité parlementaire était asymétrique. (Majorité stable au parlement, majorité relative et insuffisante au Sénat).
Pierluigi Bersani , après des consultations avec Napolitano, est désigné par celui-ci pour former un gouvernement. Il va alors essayer de convaincre les forces politiques parlementaires afin d’obtenir la confiance du parlement. Poussé par son allié principal, Nichi Vendola (SEL) et par les anti-berlusconiens de son parti (80% surtout les anciens DS[2]) le secrétaire Bersani est obligé de se confronter au mouvement 5 étoiles, qui s’est toujours montré détracteur aux projets de la gauche et de son leader pendant la campagne électorale. En effet, les résultats sont un échec, le mouvement de Beppe Grillo refuse en direct streaming de voter en faveur d’un ministère Bersani.
La situation devient quasi surréaliste et le terrible sentiment que le pays peut vivre sans gouvernement surgit automatiquement, mais l’échéance du mandat présidentiel et le besoin de choisir un nouveau président oblige encore une fois Pierluigi Bersani à entamer les discussions avec les autres partis politiques. Suite à la rencontre de Bersani et Berlusconi, on a comme résultat un nom accepté de tous pour le poste du président de la république, celui de Franco Marini, ancien démocrate chrétien et ancien président du Sénat sous le gouvernement Prodi. Mais, le nom de Marini sera la goutte d’eau qui fera déborder le vase au sein du parti démocrate italien. Il n’est pas accepté par le courant de Matteo Renzi et par les alliés du SEL, ce parti abandonne l’alliance avec le PD pour soutenir le candidat du mouvement 5 étoiles Stefano Rodotà. Franco Marini n’a pas remporté le succès envisagé et sa candidature n’est plus présentée au parlement, réuni en séance plénière. Alors, un peu par surprise, afin d’essayer de réunir le parti divisé, Romano Prodi est proposé comme candidat au poste de chef d’État. Le profil de l’ancien premier ministre et commissaire européen semble idéal pour la situation critique du parti. Il est proposé par la gauche au quatrième scrutin et il doit atteindre 504 voix sur 1007 pour devenir président. A priori, avec les votes des députés de Mario Monti tout paraît déjà conclu. Coup de théâtre. Romano Prodi, le seul à avoir battu Silvio Berlusconi, n’est voté que par 307 députés de gauche sur 496.Le résultat est une mèche dangereuse qui fait exploser la colère de Romano Prodi, qui se déclare indigné, et surtout provoque la rage du secrétaire Bersani qui démissionne, en n’ayant plus confiance en son parti et accusant les membres de celui-ci d’être des traitres. Au sein du PD commencent alors à circuler des insinuations réciproques entre membres, les courants historiques accusent les nouveaux et vice versa.
Les députés, proches de Matteo Renzi et soupçonnés de trahison, prennent des photos en guise de preuve pendant le vote, afin d’attester leurs votes pour Prodi. Mais les cents députés qui n’ont pas voté Prodi restent encore inconnus aujourd’hui. Ce qui est évident, c’est le fait qu’en moins de 24 heures le parti démocrate a frôlé la dissolution et se retrouve sans leader à ce jour.
Le gouvernement Letta, dans lequel ancienne et nouvelle politique se rencontrent.
Après deux mois d’accusations, d’attaques réciproques et de divers noms désignés pour le titre de « chef du Palazzo Chigi », Giorgio Napolitano charge Enrico Letta de former un nouveau gouvernement. Le vice-secrétaire de Bersani entame tout de suite les consultations avec les partis . Cette fois-ci il semblerait qu’un consensus entre les forces politiques soit plus probable. Effectivement, Enrico Letta, accepte de conduire un nouveau gouvernement, fort de l’appui parlementaire du Peuple de Liberté et le mouvement de Monti. Il s’agit du premier gouvernement de l’histoire républicaine de l’Italie où les forces opposantes participent dans le même gouvernement. Jusque là, un seul cas de ce type est advenu en Italie, notamment les années du délits Moro, mais à l’époque le soutien du parti de l’opposition (le parti communiste) était parlementaire et il n’y avait pas de participation au gouvernement. En outre, un premier rapprochement on entre PD et PDL on l’a vu pendant l’expérience du gouvernement technique de Mario Monti.
Or, pour les historiens, ce gouvernement est le fruit de l’œuvre des sages choisit par Napolitano, lors du vide institutionnel et vers la fin de son mandat[3]. Selon le premier ministre, le but de ce ministère est à la fois de parvenir à faire sortir l’Italie de la crise économique et sociale en augmentant l’emploi et d’entreprendre la voie des reformes institutionnels ; en commencant par les reformes les plus urgentes (lois électorales, sénat des régions, réductions du nombre de parlementaires) pour atteindre les plus épineuses (loi sur les conflits d’intérêts, exécutif de type semi – présidentialisme français). En bref, ce qu’envisageaient les sages de Napolitano.
Le gouvernement Letta est donc composé de personnalités de centre-droite, de centre-gauche et de centre. Parmi les 29 ministres, 9 sont de gauche, 5 du PDL et 3 du centre. Nous trouvons aussi des indépendants. Le vice–ministre et ministre de l’intérieur est le dauphin de Berlusconi, Angelino Alfano. Nous trouvons des politiques très connus sur la scène politique italienne des dernières décennies (de Emma Bonnino à Enrico Franceschini en passant par Maurizion Luppi et Gaetano Quaglieariello). Les dicastères importantes sont confiées aux personnalités fortes comme Bonino (affaires étrangères), Moavero (politiques européennes), Cancellieri (justice), Alfano (intérieur).
A l’heure actuelle, il existe deux nouveautés au sein de ce ministère. En premier lieu, le changement le plus mis en avant, soit une importante présence de femmes ainsi que la présence d’une femme italienne d’origine africaine. Enfin, la deuxième, moins exposée mais significative pour nous, celle de l’éloignement des extrémistes. Il est évident que le terme doit être relativisé. Par extrémistes nous entendons ces personnalités de la gauche et de la droite italienne qui dans un passé récent, c’est-à-dire avant l’affaire Tangentopoli, étaient des membres des partis hors systèmes ou extrémistes comme le mouvement social italien (MSI) ou le parti communiste italien (PCI).Au sein du gouvernement de Enrico Letta, on ne trouve plus des politiques du parti démocrate qui étaient auparavant membres de la DS, soit du parti communiste italien. Letta, lui-même, appartient à cette catégorie d’hommes ayant su se détacher de la démocratie chrétienne avant son écroulement et qui ont évolué dans la Margherita[4], pour enfin fusionner avec la DS dans le Parti Démocrate. Or, Pierluigi Bersani, Walter Veltroni, Massimo d’Alema et même Giorgio Napolitano étaient membres du parti communiste italien jusqu’en 92.
Cette nouveauté se remarque aussi parmi les ministres du centre droite. En fait il s’agit des politiques modérés comme Alfano ou Maurizio Luppi. Il n’y a plus de personnages tels que Ignazio Larussa, Gianfranco fini (leader de MSI) ou encore Roberto Calderoli.
A’ présent comment feront-ils pour se quereller ?
Le titre, bien qu’évocateur, n’a pas de vocation provocatrice. Au contraire, il s’agit d’une constatation faite par beaucoup d’italiens qui depuis 1994 contemplent une scène politique où les appels explicites ou implicites vers l’extrémisme politique ont été constants à gauche comme à droite, et pas seulement lors des campagnes électorales, mais aussi dans la quotidienneté politique. Clairement, il ne s’agit pas de nostalgie mais d’un appel à la violence politique qui a caractérisé l’Italie et les italiens dans les années ‘60 et ’70 ; les années des « brigade Rosse » et du terrorisme noir des groupes néofascistes. Les années de plomb ont laissé des séquelles dans la mémoire italienne, et bien souvent elles réapparaissent par l’intermédiaire des partis politiques. C’est le cas notamment du 25 Avril, la fête de la libération, laquelle n’est pas célébrée de même manière par les différentes forces politiques. Mais aussi dans les manifestations de gauche en Italie, on remarque des caractéristiques, des évocations envers une passé extrémiste, difficile à oublier.
Le moment de difficulté que l’Italie est en train de vivre semble en même temps idéal pour changer la politique italienne, et Enrico Letta, veut en profiter pour ouvrir une nouvelle saison politique. Pour la première fois nous avons une ministre noire, Cecile Kyenge, devenue dès lors la cible d’insultes racistes par les alliés des alliés (ligue du Nord). Les femmes en général ont un rôle important (Emma Bonino) dans le gouvernement. Toutefois, le jeune premier ministre doit pactiser avec la droite de Silvio Berlusconi et les centristes de Mario Monti pour avoir une majorité au parlement. A’ l’heure actuelle on ne peut pas considérer ce gouvernement comme un gouvernement du parti démocrate.
Une des premières mesures du gouvernement était la suspension de la taxe d’habitation, c’est –à-dire la promesse électorale qui a fait monter spectaculairement la popularité Berlusconi. De plus, Letta, a cherché à contenter une grande partie des acteurs politiques, même le moins aimé par les italiens, Mario Monti.
Ce ministère est considéré par une partie de l’opinion publique comme un ministère d’émergence, construit seulement pour faire sortir l’Italie de la crise et beaucoup prévoient une durée limitée à la résolution des problèmes les plus urgents. Une autre partie pense que ce gouvernement pourrait être la bonne occasion pour changer la politique italienne et à fortiori entamer un nouveau cycle politique, mais pour l’instant le changement ne semble que de peu profond.
[1] Giovanni Leone a dû démissioner avant la fin de son mandat, suite à une affaire de corruption qui concernait sa famille.
[2] Ds est la sigle des democatici di sinistra (démocrates de gauche), c’est-à-dire le parti qui a remplacé le parti communiste italien après la chute de l’Union Sovietique.
[3] Les 10 sages sont dix personnalités politiques de gauche et de droite convoqué par le chef d’État ayant pour but de former des propositions pour les reformes politique et institutionnels que le pays devait entamer.
[4] Margherità, c’est un parti des années de centre-gauche, qui a remplacé le parti populaire. Au sein du parti populaire on retrouvera plusieurs membres de la démocratie chrétienne (DC). Margherita et DS formeront l’Ulivier, la coalition qui a fait gagner Romani Prodi pour deux fois.